Juif hongrois rescapé des camps de concentration et installé en France depuis la fin des années 50, Miklos Bokor est un peintre difficile et rebutant. Et c’est bien de cela qu’il tire sa force extraordinaire et sans concession. Plus rien n’indique dans ses dernières toiles son inclination première pour la nature, si ce n’est, lorsque l’on connait l’oeuvre, la résonnante présence d’une matière qui doit tout à la terre. De ce long voyage, la synthèse aboutie de l’élégie et de l’expérience replacée au centre de l’histoire, crève la surface d’une lumière lunaire et glacée. Portant témoignage malgré tout d’un devenir humain possible, mais à la condition de ne pas oublier les deux faces de l’horreur : ce que l’homme s’est infligé et ce qu’il peut encore s’infliger.

La supériorité de l’art tient à cela. Obliger l’homme à un devoir de mémoire particulier : celui de dépasser la stricte dialectique pour aboutir à la forme qui inscrirait la mesure du corps au plus prés de celle de l’esprit; seule qualifiée à écarter le mensonge. Et c’est pour cette raison que l’art est si compliqué à atteindre puisqu’il présume ce perpétuel dialogue.

La couleur n’est pas absente chez Bokor. Elle est grise, elle est noire, elle est sourde. L’air qu’on y respire nous ouvre aux miasmes du désordre sans fin de la terreur, de l’homme-proie, de l’homme-monstre, toujours figuré cependant, vu, reconnu, accaparé par son destin mortifère. Il s’en prend à tout ce qui ressemble à lui-même et l’espace devient saturé d’une lueur diffuse chargée de poussière suffocante. Rien ne reste réellement figé. Les corps se meuvent  et parcourent les toiles comme autant d’instantanés photographiques pris sous le feu de l’action. Il faut courir, se battre, ne jamais s’arrêter, fuir sans cesse et le seul répit est celui de l’accablement.

Peindre cela à ce point d’intensité sans par ailleurs la moindre complaisance, montrer par la lente maturation d’un chemin personnel l’aspect le plus sombre de l’histoire récente tout en l’inscrivant dans une perspective intemporelle n’est pas donné à tous les artistes. Miklos Bokor s’en charge avec une lucidité exemplaire.