Texte paru dans le catalogue à l’occasion de l’exposition d’Astolfo Zingaro à la galerie Les Montparnos du 26 octobre au 9 décembre 2017

 

A la rencontre d’Astolfo

 

La dernière marche de la station de métro Abesses découvre la place du même nom sous le signe de l’auvent du manège. La conscience est déjà suffisamment aiguisée pour enjamber immédiatement les trottoirs et les chaussées en direction de la rue Tholozé. Les pieds crissent jusqu’au numéro indiqué. Le code d’entrée cède. Le couloir se dérobe rapidement. Les narines perçoivent un parfum diffus d’humidité légère et habituelle. La montée des escaliers modifie ce premier contact et au troisième étage, la senteur évolue. C’est une odeur d’huile pleine et entière qui frappe le visiteur jusqu’au palier du quatrième. La porte s’ouvre et le visage du peintre, les yeux pétillants et le sourire aux lèvres, apparaît. Nous sommes accueillis chez Astolfo Zingaro.

 

Le café attend. Les biscuits sont sur le rebord du tabouret. La masse des tableaux est répartie de part et d’autre de la pièce. Un siège nous est tendu. On s’installe au milieu de l’atelier. Quel que soit le temps, une même lumière filtre les ébats de l’œil et le prédispose à recevoir le choc de la peinture. Les toits de Paris couronnent la vue extérieure et ramènent l’esprit à la préoccupation majeure de l’habitant des lieux.

 

De nouvelles toiles, encours ou achevées, ajoutent à la connaissance de l’oeuvre. Il n’est pas une visite qui ne confirme l’ampleur du travail et ce paradoxe entre les doutes exprimés par le peintre et l’impression personnelle d’une force expressive inexorable. La peinture de Zingaro mange les couleurs depuis longtemps, se nourrissant d’une intensité intérieure suffisamment vaste pour embrasser le spectre des tons sans besoin de les énoncer autrement qu’à l’ombre du blanc et du noir. De rares incursions jaunes, bleutées ou rouges confirment la loi d’airain que le peintre semble subir. Incarner une vision au plus haut point d’incandescence nécessite de s’y soumettre au prix de l’angoisse de croire à une autre voie moins délimitée. Mais rien ne semble en mesure de briser l’élan émotif qui porte l’imaginaire du visiteur devant les tableaux de Zingaro. C’est au contraire un vent de la plus haute tenue qui dévoile sa vision au-delà des apparences. Des signes éparses, affirmés par leur dissolution même, réécrivent la relation de Zingaro au réel. Dire de sa peinture qu’elle est abstraite serait proférer un contresens.  Elle est recueillement évidé de tous les substrats accumulés au fil des heures, des jours, des années. Quand le regard ne cesse qu’à la nuit de tenter de comprendre. C’est bien par l’observation de la réalité que Zingaro rentre en peinture et non par apposition gratuite de signes purs. De la transmutation effectuée, découle une surface sans repères concrets, chahutée par une matière somptueuse à l’épaisseur impressionnante. Un brouillard de formes flottantes domine avant que les yeux mieux accoutumés du spectateur ne précisent l’ordonnancement de l’espace. Un sentiment indicible naît alors. Une lumière sourd des sédiments et rejoint les fenêtres par lesquelles Montmartre s’offre à Paris.

 

En quêteur assoiffé d’une vérité inaccessible, Zingaro accomplit la restitution de la réalité sans s’être borné par une idée préconçue de sa représentation. Commencée dans les années cinquante au contact des grandes gloires de l’école de Paris, son oeuvre a cheminé sans cesser de s’accrocher pour comprendre l’essence du quotidien, nourrie par la fréquentation des musées et des expositions, aussi bien que la lecture d’Elie Faure ou l’échange avec ses contemporains.

 

Chaque rencontre avec Astolfo Zingaro confirme sa modestie. L’homme, rétif à toute mondanité trop prononcée, consent néanmoins à partager les secrets d’une existence de labeur pictural pour qui sait susciter son empathie et sa confiance. Son regard, imparable, ne conclut jamais sans douter de son propre jugement. Profondément sensible et ne se départant pas d’une naïveté qui garde intacte sa fraîcheur, il goûte à la vie en gourmand et affirme qu’en peinture  » Il ne faut pas faire le malin ».