Si avoir eu Rubens comme maître a pu aider Jordaens à  bâtir sa carrière de peintre, il n’est pas certain que ce ne fut un handicap sur le plan créatif.

Jordaens n’est pas Rubens et il est loin d’être un manchot. Seul souci : on ne peut s’empêcher devant chacun de ses tableaux de projeter le souvenir des toiles de Rubens en surimpression. Il y a chez ce dernier, au-delà de l’inventivité d’un style, un génie de la virtuosité incomparable. Une maestria impériale dans le savoir-faire, une intelligence de la composition, une élégance étourdissante. C’est le « grand créateur ».

Alors Jordaens ? C’est le peintre de l’empathie. Tout être humain est traité chez lui avec la même attention, la même bonté, la même curiosité. Une tonalité de tendresse et d’intérêt véritable pour tous ses semblables infuse chaque toile. Un égal traitement combiné au plaisir de vivre et de contempler le spectacle de la vie et sa mise en scène, baignés dans une lumière fraternelle, juste, douce. C’est un réalisme heureux, très humain, mais sans afféteries.  Et c’est un tour de force.

Il me vient une autre comparaison. Avec Renoir. La splendeur féminine, l’acidité chaude des couleurs de la fille supposée de l’artiste, représentée avec un vieillard, annoncent les ultimes portraits du maître français. Ils ont en commun la joie de vivre et de peindre. Mais Renoir a eu le tort d’exister jusqu’à l’aube du 20ème siècle; ce siècle des grands massacres et des grandes désillusions. Et notre époque ne peut pas lui pardonner son bonheur.

Aujourd’hui, pour être considéré, il faut peindre triste.